jeudi 25 janvier 2018

Concerto pour piano N°2

J’assiste au premier concert du jeune prodige Aksel Vinding à la Philharmonie d’Oslo. Un triomphe, les applaudissements n’en finissent pas, la tension se relâche, le public est ému, j’aurai les larmes aux yeux. Quelques années après, « la société des jeunes pianistes », la musique reste en moi, comme une pensée continue qui se fond dans mon rythme intérieur. Je ne me souviens plus de ce qu’il a joué, lors de ce premier concours-récital. J’ai loupé sa création intime de « la rivière », comme un appel au secours – mais peu importe, je raccroche facilement à la suite de l’histoire, troisième volume. Chaque grand moment musical semble coïncider avec un grand déchirement personnel. Anja Skoog, son grand amour s’est donné la mort au premier épisode. Il se relèvera auprès de Marianne, la mère d’Anja, qu’il épousera.

Me voici donc à Oslo, ce nouveau concert, cette fugue d’hiver qui se joue, pendant que dans la maison Skoog, Marianne se donne elle aussi la mort. L’envie de tout plaquer, de se retirer de ce milieu, ce monde, pourquoi pas tout au nord de cette Norvège, là-bas près de la frontière russe, alors que sa maison de disque lui promet un grand avenir, des tournées européennes, jouer à Vienne… S’isoler du monde, avec une bouteille de vodka. Plusieurs même. J’aime quand la littérature déploie des bouteilles de vodka glacée sans compter, que les verres s’enchainent, la tempête se déchaine, le blizzard, fuck le blizzard, des rennes traversent la route enneigée, j’hallucine, le majeur se congèle, comment bien jouer après au piano…

« Je vais dîner seul dans le restaurant de l’hôtel et boire en silence, jusqu’à en tomber dans les pommes. Je poursuivrai de longues conversations avec Rachmaninov dans lesquelles je lui demanderai pourquoi l’âme russe est si violente dans son expression. »


mardi 16 janvier 2018

Le monde est Stone


Le soleil se couche sur les escaliers qui mènent de Trinita di Monte à la Piazza di Spagna. Une dernière cigarette à fumer sous le lampadaire. Je lève les yeux au ciel, comme pour regarder une dernière fois l'azur du ciel. J'aperçois la Signora Mrs Stone sur le balcon de son hôtel particulier. Veuve, la cinquantaine, le temps dérive sur sa peau, elle dérive dans ses appartements. Actrice renommée dans un temps ancien, mais l'âge a eu raison de sa carrière. Autour d'elle, virevoltent des comtesses et de jeunes éphèbes romains venus lui soutirer quelques lires de sa fortune.

« Trois événements essentiels, trois ruptures profondes avaient marqué trois années de suite la vie de Mme Stone : l'abandon de sa carrière, la mort de son mari et cette transformation qu'apporte dans la vie des femmes la fin du cycle ovarien. Chacun de ces événements représentait en lui-même un bouleversement grave, et les trois conjugués lui donnaient l'impression qu'elle vivait désormais une vie posthume. »

mardi 9 janvier 2018

Des Moissonneuses-Batteuses et de la Couille Poilue

« Le Festival de la Couille », un titre qui va te faire sourire, air malicieux qui plisse de jolies rides autour des yeux. Parce que tu crois que j’ai choisi ce titre pour le titre, et tu t’attends à ce que je t’abreuve de salacités perverses au goût de sperme et de suc séminal dégoulinant entre les cuisses de demoiselles n’ayant pas froid aux yeux ni aux majeurs. Sauf qu’aujourd’hui, je vais m’attarder aux histoires vraies que composent ce livre. Pas un roman, pas tout à fait des nouvelles bien que cette vingtaine d’histoires pourraient se lire comme telles. Entre deux grands romans, Chuck Palahniuk ne cesse d’écrire. Pour des journaux, pour soi, pour moi. Il parle de la vie, celle des gens de l’Amérique profonde perdus dans le Kentucky ou la Géorgie. D’ailleurs peu importe l’État où il erre son esprit, l’écrivain compose des articles, des reportages, des impressions du temps et du vent et cela en devient presque passionnant. Pas comme, bien entendu, son « Fight Club » ou son « Choke » car l’auteur choque les âmes de ses mots crus et de ses situations trash. Non, là il expose des faits, il interviewe des célébrités ou presque, il se balade dans des campagnes pour de fabuleux concours de moissonneuses-batteuses. Il se retrouve dans des bars à écraser des cafards pendant que son pote se fait écraser par le cancer dans la chambre de l’hôpital du coin de ce bar. Il s’enivre dans de réputés concours de fellation… Mon univers, en somme. Le silence de la campagne que seul le moteur d’un mastodonte Massey-Ferguson vient déranger. Le silence d’un homme seul attablé devant une bière sur un comptoir collant que seul un jukebox crachotant un air de country vient perturber. Le silence d’une femme pompant passionnément que seule ma giclée impromptue vient accentuer.

« Ce soir, il est question de briser et de réparer. Ce soir, on a le pouvoir de vie et de mort.
Tout le monde est rassemblé pour le concours de moissoneuses-batteuses de Lind. Lind est une ville de quatre cent soixante-deux âmes dans les collines arides, aux confins est de l'état de Washington. Elle est blottie autour des silos d'Union Grain, alignés le long du chemin de fer de la Burlington Northern. Les artères numérotées – First, Second et Third Road – sont parallèles aux voies ferrées, elles aussi. […] Dans toutes les directions sur plus de cent cinquante kilomètres, il n'y a que des champs d'armoise et d'amarante, sauf sur les collines vallonnées couvertes de blé. Dans cette région, les tourbillons de poussière s'en donnent à cœur joie. Les voies ferrées relient les grands silos des villes agricoles comme Lind, Odessa, Kahlotus, Ritzville et Wilbur. A la sortie nord de Lind s'élèvent les restes en béton du pont ferroviaire de Milwaukee Road, aussi spectaculaires qu'un aqueduc romain. Aucun document ne permet de savoir d'où vient le nom de Lind. Vers le sud, s'étendent les terrains de rodéo, des gradins sur trois côtés d'une arène poussiéreuse. Les lièvres viennent pâturer dans un parking de graviers autour des carcasses cabossées et rouillées des anciens participants au concours de démolition. Les concurrents sont de grosses et lentes machines à moissonner le blé. »

vendredi 5 janvier 2018

La Solitude du Bento

« La solitude me sonne dans la tête. Un son de clochette, très aigu, à me casser les oreilles. Pour que les autres ne le remarquent pas, je lacère une photocopie. Fines et longues lanières. Le bruit agaçant du papier qui se déchire couvre au moins celui de la solitude. »

Elle occupe un bureau, au fond de la classe. Seule. A la pause, elle se pose à la fenêtre et regarde la cour de récréation. Seule. A midi, elle s’installe pour manger son bento. Seule. La solitude au lycée ne se vit pas forcément bien. Jamais réellement choisie, surtout quand les groupes de travail se forment et qu’à la fin, elle se retrouve toujours seule, ou la dernière à être choisie pour intégrer d’autres filles qu’elle trouve immatures.

A quelques rangées de là, il y a bien ce garçon qui lit cet étonnant magazine de mode en cours de maths. Il parait même plus seul qu’elle. Elle tente un rapprochement. Il l’intrigue, la façon dont il s’isole du reste du monde. Un début de quelque chose, peut-être… Sauf que le garçon n’a d’yeux et de pensée que pour cette stupide mannequin-chanteuse-vedette, avec des jambes aussi longues que… Un vrai otaku.

lundi 1 janvier 2018

Ghost

Il y a cet homme qui dort contre le corps de sa femme. Cette image, je la garde profondément ancrée en moi, elle respire tant le bonheur et l’amour, deux âmes enlacées peau contre peau, dans le silence d’une vieille bicoque grinçante de banlieue. Elle veut déménager, lui est plutôt résistant à cette perspective, trop de souvenirs, trop d’amour dans ces lieux pour être prêt à fermer la porte. Jusqu’au jour où… Se résigner... Faire des cartons, laisser le piano… Jusqu’au jour où… Un accident de voiture…

L’homme se réveille, chambre froide, un drap sur le corps, il erre sous la lumière blafarde tel un fantôme. Il EST un fantôme. La femme pleure, bien évidemment. Un amour qui s’en va. Casey Affleck, puisqu’il s’agit de lui sous son drap qu’il ne quittera plus jusqu’à la fin du film, ne comprend pas vraiment ce qui se passe… Il rentre chez lui. Le silence lourd, de la maison. Sa femme mange une tarte. Dans un silence de mort. Seule, par terre dans la cuisine, pendant dix minutes, Rooney Mara s'en enfourche à en gerber. Un plan fixe de 10 minutes sur une femme qui bouffe une tarte dans une désespérance totale, c’est long, très long… Les premiers spectateurs quittent la salle… Le silence ne convient pas à tout le monde.

Pendant le reste du film, dans un silence obscur, bercée par une magnifique musique où le violoncelle a la part belle, normal quand il est question de fantôme, il voit sa femme errer puis refaire sa vie, il échange par regards interposés quelques mots avec le fantôme de la maison d’en-face – le clin d’œil humoristique du film, de nouveaux locataires arrivent, sa femme est partie, d’autres locataires… Jusqu’au jour où…