« Pour expliquer la vie au monastère, il faut avant tout mentionner le silence. Pendant mes années passées ici, j'ai appris que le silence n'était pas seulement le calme ou l'absence de bruit. Au contraire, il s'agit plutôt d'une écoute très attentive. Le silence est nécessaire pour percevoir le bruit au-delà du bruit, la sensation au-delà de la sensation. »
Sous
le regard de la lune, pleine et bleue, contemplant le silence, je me
remémore la vie de Frère Jean. Il y a des vies que l'on n'oublie pas,
comme des instants de bonheur venus éclaircir votre horizon. Frère Jean
est là devant moi, dans sa robe monacale. Il est vieux maintenant, plus
le genre à monter sur une échelle. Pourtant, il a encore la mémoire vive
et les souvenirs douloureux. Oui l'amour fait mal. Il cogne, il frappe
quand on ne l'attend pas. Il fait se poser des questions, puis il
disparaît le jour, un jour, pour revenir chaque nuit, une vie.
« Le silence ressemble à un miroir sombre qui parvient à révéler les os et la chair même à travers plusieurs couches de vêtements. D'une certaine manière, c'est quelque chose de redoutable. Lorsque je décidai de prendre l'habit de moine, j'étais plein d'admiration pour ce calme, mais je n'avais pas imaginé qu'il possède un tel pouvoir. Je ne me souviens pas précisément, mais il me semble que je me retournai alors timidement vers la gare. Le sifflet de mon train qui repartait me parut irréel. J'eus le sentiment d'avoir laissé ma courte jeunesse dans ce train, avec le bruit, mes peurs, joies, dégoûts, angoisses, pleurs, envies, jalousies... Comme je posais un pied dans le long couloir plongé dans la pénombre, j'aperçus furtivement mon âme toute nue par l'entrebâillement des rideaux du vacarme. »